Dissertation sur le théâtre comme lieu privilégié
de l'affrontement
Cadre : bac blanc
Au fil du temps, le théâtre a vu grandir l'importance de l'affrontement. D'abord réduit, voire inexistant lors du Moyen-Age, il est devenu l'élément clé de la plupart des pièces et s'est diversifié dans ses buts et formes, avec notamment une opposition des personnages ou un conflit intérieur : comment s'est déroulée l'évolution du théâtre vers l'affrontement ? Comment se manifeste-t-il ? Sert-il un but plus vaste que l'action de la pièce ou l'effet comique ?
Au moyen-age, l'objectif du théâtre était essentiellement
d'ordre religieux : les passions représentaient des scènes
de la vie du Christ et les mystères tenaient lieu de dramaturgie
lors des messes. L'affrontement avait ainsi un rôle minime dans ces
représentations, mais légèrement plus marqué
dans les pièces profanes ; on constate que son importance progresse
à mesure que la part religieuse des pièces décroît.
Une étape est franchie à l'époque baroque où le théâtre n'a plus uniquement une utilité représentative mais parfois philosophique : il cherche à déterminer sa propre nature, entre lieu des illusions qui éloignent l'homme de la vérité ou révélateur de la vérité dans les illusions, comme on le voit dans La Vie est un Songe du dramaturge espagnol Caldéron.
L'affrontement est alors représenté par des paroles qui emplissent l'espace et des débats sur des sujets tels que l'apparence ou la nature de choses, sur un fond parfois macabre ; il ne s'agit alors que d'un affrontement à vocation argumentative, exposant des avis différents. Son rôle devient essentiel dans les vaudevilles où il se pose en élément indispensable à l'action de la pièce par le conflit du mari et de l'amant autour de la femme. On a donc assisté à une véritable révolution de l'importance de l'affrontement, d'un rôle faible ou argumentatif à un rôle essentiel pour l'action.
Cette action découle souvent de problèmes engendrés par les hommes car, comme le disait Thomas Hobbes dans Le Léviathan, " l'homme est un loup pour l'homme ". Les situations mettent alors en scène auteurs et victimes du problème, qui s'affrontent pour des raisons comme l'amour ou la vengeance dans les grandes tragédies de Shakespeare.
Cependant, il ne faut pas confiner l'affrontement à une opposition d'acteurs : il peut aussi être d'ordre intérieur, avec l'expression des tourments et angoisses d'un personnage tel Lorenzaccio ; on assiste alors, sous forme verbale, à un débat sur l'homme, par exemple Archange ou simple mortel, ou sur la moralité de ses actions.
Il peut aussi être généralisé sous les aspects de solitude et d'isolement du mouvement romantique : deux êtres qui s'aiment affrontent la société, qui empêche leur union ; cette idée est récurrente dans les tragédies.
De la même façon, le but poursuivit peut-être élargit. On le voit particulièrement lorsqu'il y a un duel verbal entre des personnages représentatifs d'un ensemble, corps de métier ou classe sociale : les paroles échangées prennent alors un rôle critique. Les exemples à ce sujet foisonnent et on peut citer Figaro, dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais, dont le long monologue est l'occasion de critiquer les privilèges conférés de naissance aux nobles, représentés par le comte Almaviva.
Certains auteurs tel Jean-Baptiste Poquelin, dit Moliere, présentent une grande majorité d'uvres où l'affrontement a un but critique, envers les médecins ou les hommes d'églises illustrés comme profiteurs de la crédulité ou croyance aveugle, notamment dans le Tartuffe. D'autres, comme Anouilh, font des affrontements de leurs personnages le reflet d'un phénomène intemporel : la révolte de l'adolescence contre le monde des adultes, ce qui donne lieu à des critiques applicables dans tous les contextes, l'Antiquité avec Antigone ou le monde moderne.
Parfois, l'affrontement dépasse le cadre de la scène, s'adressant à des spectateurs précis, comme dans la Critique de l'Ecole des Femmes où Molière réagit face aux détracteurs de sa pièce.
Ainsi, le théâtre fait preuve d'une grande diversité
dans les formes de l'affrontement : opposition du vaudeville, débat
intérieur ou instrument de la critique. Par la présence d'acteurs
qui interagissent et la destination à un public de tous milieux,
il s'est progressivement imposé comme espace privilégié
de l'affrontement, variant entre effets comiques ou réflexions d'actualité.
Cependant, cette importance qui n'a cessé de croître ne tendrait-elle
pas à réduire une pièce de théâtre à
la mise en scène d'un affrontement ?