Le lyrisme amoureux dans la poésie du XVIème et XIXème siècle
I. Extrait 1 : Green, de Paul Verlaine
a) L'extrait
Voici des fruits,
des fleurs, des feuilles
et des branches
Et puis voici mon cur qui ne bat que
pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.
J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à
mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-là s'apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Paul VERLAINE, Romances sans Paroles, " Aquarelles ", 1874
b) Mise en relation avec la vie de l'auteur
Le poème s'adresse à Mathilde,
femme avec laquelle Paul Verlaine partagea une partie de sa vie. Après
avoir rompu avec elle pour Rimbaud, retombant dans l'alcoolisme, il cherche
à obtenir son pardon en lui écrivant Green.
c) Etude du poème
La forme du poème est libre ; il est composé de trois quatrains
composés d'alexandrins. Le champ lexical de
la nature est particulièrement présent, surtout dans
la première strophe, où on remarque aussi une allitération
en f.
Le poème commence par " voici ", introduisant l'idée d'un don, suivit d'une énumération pour renforcer son effet. Ce thème de don de la nature et de don du cur est un classique de la poésie amoureuse et montre aussi un aspect de poésie lyrique.
La femme est présente à travers cette idée de vie qui se dégage du domaine végétal mais aussi, plus personnelle, par les fleurs et fruits qui symbolisent la fécondation et la beauté. Il ne s'agit pas d'un portrait mais d'une allusion ; la " main blanche " renvoie à l'idée de pureté et d'innocence, contribuant un développer une idée de sainteté : l'auteur exprime ainsi un sentiment de dévotion à l'égard de sa bien-aimée. D'autres attitudes sont aussi présentes, comme celle de la demande, voire de la supplication. La femme à travers la sainteté, et même l'idée d'une vierge, apporte l'apaisement, de la fraîcheur, de la légèreté ainsi que de la subtilité ; cette image s'explique aussi à travers la conversion religieuse de Verlaine, qui écrira d'ailleurs Sagesse, livre qui fait part de ses sentiments religieux. On retrouvera aussi dans ce même livre le symbole de la musicalité, ainsi que la spiritualité et les symboles.
d) Analyse technique
Deux points importants :
- à travers l'usage du subjonctif, on trouve
le souhait, l'espoir et la simplicité.
- Les vers fonctionnent par deux en unité syntaxique
tout en adoptant un système de rimes embrassées.
Les vers 5 et 6 montrent l'errance du poète ; le retour
se comprend à travers une image qui ne dit rien sur le lieu où
il était : le passé est mis sous silence
dans l'ensemble du poème. Le matin, choisi pour le retour,
est un moment symbolique de la journée qui
exprime le renouveau et la renaissance.
Aux vers 7 et 8, la demande de prière envers la femme aimée
est reprise, en utilisant l'impératif et le subjonctif ; malgré
ces temps, le poète s'abandonne et se soumet.
Dans le vers 8 il y a la présence du futur ; ce qui montre que seul
le passé est un temps inutilisé.
La souffrance est suggérée mais non décrite, son champ lexical n'est pas présent : la souffrance est faite de touches légères et la douleur reste discrète ; le poète suggère l'apaisement grâce à la présence de la femme. Dans la dernière strophe, le mode subjectif sert à traduire la protection qu'il s'imagine ; les deux vers sont encore liés par des sonorités, ici le " r ", sonorité des baisers ; il y a aussi un usage abondant des sonorités en " o ". Le moment de séparation passé entre les deux personnes se comprend dans cette dernière scène de retrouvailles, souhaitées par l'amant.
La dernière strophe nous met aussi en présence
d'une image maternelle avec l'allusion de la mère
qui console l'enfant. Les deux derniers vers, 11 et 12, montrent
le repos, l'apaisement et la consolation, voire un repos éternel
dans l'allusion avec la mort par " puisque vous reposez " ; l'amour
n'est donc plus seulement humain et charnel mais aussi spirituel : Verlaine
souhaite un amour au-delà d'un amour terrestre.